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Nina Helleboid

Autrice, créatrice sonore.

Portrait d’artiste

L’artiste Diane Barreau
saisit plaisir et douleur
à bras-le- corps dans ses œuvres

Diane Barreau peint ses sensations,
dessine ses entrailles
autant qu’elle brode ses frissons.

Pour Diane, la création est un médium pour traverser ce que son corps lui dicte.L’acte de création est le prolongement des ressentis physiques qui la traverse.
C’est un corps qui a appris à endurer la douleur physique, dans la pratique de la danse classique, plus tard de la maladie, qu’écoute désormais Diane.
À l’affut du moindre ressenti, elle mélange ses émotions brutes autant que les matériaux, les inspirations, les surfaces, les matières pour laisser exprimer son corps tout entier.

Diane photographie, brode, tricote, peint, dessine, assemble, noue.
Elle explore tous les formats et les matériaux, la création est pour elle une expérimentation permanente. Diane collecte, ce qui lui est donné par la plage, la terre, le bitume pour en faire un medium, et invite ainsi le réel dans son univers fantastique.
À l’image de ses œuvres peintes sur du carton ramassé. L’artiste ne cherche pas à masquer ce carton, ni à l’embellir. Diane ne veut pas faire semblant, la récup, c’est un choix autant qu’une nécessité parce que les toiles, le papier étaient trop coûteux à une époque. L’absence de moyen n’est pas une excuse pour attendre de jours meilleurs et un support plus noble.

Pour Diane, la création est une pulsion vitale, c’est le prolongement de son corps.
Le support, qu’il soit photo, carton, laine, tissu, bijoux, toile, laine ou papier est le réceptacle de ses sensations. Peu importe ce qui sera sous sa main, elle le transformera.
S’il y a dans ces peintures une forme d’urgence, c’est parce que Diane crée pour se détourner de la douleur physique lorsqu’elle la tenaille. Parce qu’il y a douleur, Diane tient autant à ressentir et exprimer la trace du plaisir que son corps lui offre aussi.

« J’aimerais mettre sous cloche les sensations éphémères que je ressens dans mon corps. »

Diane Barreau

Diane nourrit un imaginaire fantastique où la sexualité est frontalement abordée.
Sans provoc, ni violence, c’est une sexualité honorée, dans la joie d’un désir féminin affirmé, que Diane représente.
Pour elle, « le sexe n’est ni sacré, ni dégueulasse, alors pourquoi ne pas le banaliser ? »

Dans sa mythologie personnelle, Diane Barreau emprunte autant au Moyen Age qu’à la pop culture, au manga, à la bd, à l’ésotérisme, au cinéma, à l’expressionnisme, ou l’illustration.

Diane Barreau
Diane Barreau

Diane ne classe pas les références :
« Quand je pense au SPHYNX, je pense à celui de l’histoire sans fin, pas celui de la mythologie
Ainsi, dans l’éventail de son travail, on croise des personnages de tarot revisités, des chevaliers, des champignons psychédéliques, des champs de pénis, une vieille femme en train de jouir, une chatte poumon, des organes dégoulinants, un diamant incrusté de sexe masculin, des kilomètres d’intestins, des dorures, du bleu éclatant et le rouge saillant du sang qui coule.
Diane charrie des symboles qu’elle fait sien : les cailloux sont le signe de la douleur, la couronne la légitimité d’une place incontestable. Pour le reste, les spectateurs interpréteront à leur guise, tel un tableau de Jérôme Bosch des temps modernes, on scrute les détails dans les œuvres de Diane pour plonger tout entier dans son univers fantasmagorique.

Sainte Rita, Diane Barreau

Le dessin, la mode, la danse, la restauration d’œuvre ont façonné la démarche artistique de Diane Barreau.

Diane nous donne à voir ses entrailles, à nue, c’est elle, et elle a pris le temps d’exister pour ressentir et ne plus se dérober de la création par des chemins détournés.
Pourtant, ce sont ces détours qui ont façonné son travail d’aujourd’hui.
Parmi ces détours marquants, il y a le dessin, la danse, la restauration d’œuvres, la mode.

Sa pratique artistique commence dès le plus jeune âge par le dessin, medium de prédilection « parce que c’est celui avec lequel les enfants récoltent des compliments ».
Pendant longtemps, Diane a prétexté un cadeau pour créer. Enfant, elle donne des poupées qu’elle confectionne elle-même. Désormais, Diane crée sans prétexte, pour offrir au monde ses œuvres sans se cacher derrière des excuses.

À huit ans, Diane rencontre la danse classique, pratique qui marquera son rapport au corps, qu’elle déconstruit dans ses œuvres aujourd’hui.

Alors qu’elle pensait aller dans un endroit où « on case les enfants quand on ne sait pas trop quoi en faire », Diane est éblouie par le cours de danse et s’y plonge pleinement. Derrière la légèreté formelle de l’envolée des danseuses classiques, il y a un entraînement à la douleur, une glorification de la souffrance, comme si le sacrifice physique était proportionnel au succès à venir.
Pendant des années, elle traverse l’expérience de cette douleur institutionnalisée, admise, « dans la danse classique, la seule limite est de ne pas casser le corps, la douleur ne compte pas ». Pour Diane, la danse classique était toujours dans la retenue, avec beaucoup d’interdiction, en écho à une éducation rigoureuse où la sagesse glorifiée d’une enfant n’était en réalité que terreur.
Diane réalise qu’elle ne veut pas de cette vie-là, et alors que la danse classique occupait toute sa vie hors de l’école de ses huit à quinze ans, elle s’en détache à l’adolescence pour se consacrer pleinement à la danse contemporaine.
La pratique contemporaine se révèle un soulagement : « Alors que dans la danse classique, j’avais dû m’affamer pour être à peu près OK, la danse contemporaine, elle, acceptait tous les corps. »
À travers la danse contemporaine, Diane développe un langage chorégraphique d’un corps qui se libère.

 

« J’ai trouvé plus de liberté en passant par le corps que par l’intellect, je peux y exprimer des sensations brutes. 
C’est mon corps qui me fait agir pour mon bien-être.
C’est mon corps qui parle et désormais, je l’écoute.
Je ne sais pas ce qui nous fait si peur dans cette animalité.
On a travaillé à séparer corps et esprit, alors que je suis mon corps. Moi quand j’ai mal au ventre, je ne suis plus que ventre.
»
La suffocante, masque mortuaire, plâtre et coquillage. Diane Barreau

Et Diane prend la ferme décision de ne plus lui infliger aucune douleur que celui qu’il subit déjà violemment à travers la maladie de crohn qui l’accapare. Elle érige désormais le plaisir en impératif, nourrissant un univers visuel où les sexes, les corps dans toutes leurs formes se délectent, débarrassés de toute culpabilité et morale asservissante.

Le parcours de Diane est aussi marqué par sa formation en restauration d’œuvres d’art contemporain à Avignon. Aujourd’hui, ce sont les objets ramassés que Diane restaure.
Avec souplesse, elle assemble notamment la laine, les tissus, les pierres.
« Ce que j’aime dans le crochet et le tricot, c’est le lien non contraint. J’aime  que les choses soient enroulées ou nouées non parce qu’elles ont été contraintes, mais qu’elles s’assemblent dans la souplesse et la fragilité, en sachant qu’elles pourront prendre une autre forme sans être brisées ».

Ce gout pour le travail textile prend sa source dans la formation en école de mode que Diane suit entre 2010 et 2011. Durant cette période, Diane apprend à travailler la matière, que ce soit en la brodant ou en la brulant, toutes les techniques sont bonnes pour s’approprier la matière existante plutôt que de l’acheter. Aujourd’hui Diane continue de travailler avec la contrainte de la matière trouvée qu’elle transforme.

En prenant la création artistique à bras-le-corps, Diane Barreau est devenue l’ogresse d’or :

« L’ogresse d’or reflète cette dévoration qui fait peur, l’ogresse est aussi celle qui prend de la place. Une sorte de fée géante avec des dents pointues et en or, qui occupe l’espace. »

Pour prendre cette place, Diane a passé des années à déconstruire ce qu’elle avait ingéré de normes et de bienséance.
Aujourd’hui, Diane tient à donner de l’écho à son travail artistique au travers d’expositions et de publications.

« Quand une de mes œuvres touche par son unicité, cela signifie que le chemin que j’ai emprunté, l’autre personne aussi l’as pris ou lui donnera une voie pour l’emprunter à son tour. »

La création est pour Diane sa manière d’être sincèrement en lien avec les autres.

Autoportrait brodé de perles et de fils, Diane Barreau
Nina Helleboid - Chroniqueuse · Créatrice sonore · Autrice